Le 9 juin, les électeurs français et européens sont appelés à voter pour élire un nouveau Parlement européen. Une partie de l’avenir de la viticulture se joue dans ce scrutin. Les principales listes ont accepté de répondre à trois de nos questions…
« PAC et
régulation » : Face à la crise que connaissent plusieurs vignobles,
certains pourraient être tentés de plaider en faveur d’une libéralisation plus
importante du secteur pour améliorer la compétitivité. Les professionnels du
secteur restent très attachés aux instruments de régulation du potentiel de
production – les autorisations de plantation - (y compris pour les vins sans
IG) et des marchés. Que cela vous inspire-t-il ?
Christophe Clergeau, eurodéputé et
candidat, Groupe Socialistes et démocrates (Parti Socialiste). “La libéralisation serait une impasse pour la
viticulture comme elle l’est déjà pour le reste de l’agriculture. La
viticulture est l’exception à la dérégulation qu’a connu la PAC depuis 30 ans,
votre secteur a su garder ses outils de régulation, et cela a contribué à la
relative bonne santé du secteur même si plusieurs bassins viticoles connaissent
aujourd’hui des difficultés. La fuite en avant dans l’individualisme et le
chacun pour soi n’ont jamais été une solution pour les viticulteurs. La gestion
de crise dans l’entre-deux-mers en Bordelais montre au contraire qu’il faut
affronter les réalités en recherchant des solutions collectives même quand
elles sont douloureuses. Si les bassins viticoles bénéficient d’une large
palette en matière d’outils de régulation, il y a clairement un trou dans la
raquette sur l’aide à l’arrachage, il me semble impératif de réhabiliter cet
outil de la PAC qui a su par le passé faire ses preuves. Ce n’est pas
normal d’avoir à en passer par des chemins détournés comme des aides à la
diversification. Les marchés agricoles, et la viticulture n’y échappe pas, sont
structurellement instables, il faut assumer qu’il est nécessaire de les réguler
plutôt que de subir les crises.”
Irène Tolleret, eurodéputée sortante, Groupe Renew (Renaissance). “Le secteur vitivinicole est actuellement le seul
secteur couvert par la politique agricole commune qui conserve un instrument de
contrôle de la production. La durée des autorisations de plantation a été
prolongée à plusieurs reprises, tandis que dans d'autres secteurs, l'Union
européenne a démantelé progressivement les systèmes de quotas de production. Le
prix à payer pour ce démantèlement a parfois été élevé, conduisant souvent à
des restructurations drastiques. Dans le secteur vitivinicole, la qualité du
vin est étroitement liée à la quantité. La régulation de l'offre par le biais
des autorisations de plantation est donc une garantie de préservation de la
qualité des vins. Je pense que la libéralisation aurait des conséquences
négatives sur les indications géographiques. La clé de l'amélioration de la
compétitivité du secteur vitivinicole réside notamment dans l'adaptation des
vins aux tendances de consommation, et non dans la libéralisation des
plantations. La
filière vin est un patrimoine culturel et même des patrimoines compte-tenu de
l’ancrage fort aux territoires. Compte-tenu de la diversité du secteur vin, et
de son importance économique et culturelle, il y a un besoin de plusieurs
accompagnements pour limiter les crises, s’y adapter et évoluer avec le marché
et le climat.”
Anne Sander, eurodéputée, et
candidate, Groupe du Parti populaire européen (Les Républicains). « La régulation du marché du vin est
essentielle et c'est pourquoi nous nous sommes battus lors des négociations de
la PAC pour prolonger le régime d'autorisations de plantation. Cette
régulation permet de garantir les prix et la qualité de la production, elle est
donc aussi une question de compétitivité pour nos producteurs. Surtout, ce
qui est essentiel au secteur c'est aussi d'avoir la visibilité et la sécurité
juridique face aux investissements à long terme que représente la vigne. »
Marie Toussaint, eurodéputée et
candidate tête de liste, Groupe EELV (Les Écologistes).
“Les règles nous protègent et
permettent également de donner confiance au consommateur. Les outils de
régulation existants dans le secteur permettent de le réguler et de protéger
les acteurs économiques. Les écologistes se sont battus au Parlement
européen en 2020 pour maintenir les régulations. Ils pourraient d’ailleurs
devenir un modèle pour d’autres secteurs.”
Jordan Bardella, eurodéputé et
candidat tête de liste, Groupe Identité et Démocratie (Rassemblement
national).
“La crise que connaît plusieurs
vignobles découle d’une production plus importante que les volumes
commercialisés. Alors que l’État a subventionné l’arrachage de près de 10 000
hectares dans le bordelais et envisage 100 000 hectares au niveau national, l’idée
de libéralisation est totalement déconnectée de la réalité, et correspond à une
idéologie de dérégulation à outrance dont on voit tout le mal qu’elle a causé
sur l’agriculture française. Je suis donc totalement opposé à la suppression
des autorisations de plantation.”
PAC, IG et Durabilité :
Il semble que la Commission Européenne ait l’intention de remettre en cause la
politique de qualité (AOC et IGP) au profit de la durabilité, avec une vision
restrictive de cette dernière (seuls les angles environnement et santé sont
retenus, au détriment de l’économie et du social). L’Union Européenne ne
risque-t-elle pas de perdre son âme en s’éloignant d’un modèle basé sur la
qualité, la diversité et l’authenticité des produits que beaucoup nous envie à
travers le monde ? Seriez-vous disposé à appuyer les propositions de la
viticulture d’AOC pour mettre en place une approche plus globale de la
durabilité de la production sous signe de qualité ?
Anne Sander, eurodéputée, et
candidate, Groupe du Parti populaire européen (Les Républicains). “La
Commission perd parfois de vue la particularité du secteur vitivinicole. Au
cours de ce mandat, nous avons dû batailler pour que le système des indications
géographiques soit préservé et que les IG ne deviennent pas un semblant de
marques gérées de façon lointaine par l'EUIPO. Nous avons également introduit
le concept de durabilité tout en le laissant volontaire en faisant confiance
aux producteurs qui se sont montrés volontaristes pour aller vers plus de
durabilité. La production de la vigne est enracinée profondément dans nos
traditions et fait la richesse de bien des territoires en Europe. Le vin n’est
donc pas un produit comme les autres et c'est pour cela que nous devons le
préserver.”
Marie Toussaint, eurodéputée et
candidate tête de liste, Groupe EELV (Les Écologistes). “Sur les produits agricoles, la question n’est
plus la durabilité, elle est la capacité à maintenir une production dans les
années qui viennent. On le vit déjà avec une augmentation du niveau d’alcool
des vins ou alors des années de sous-production. Les modes de culture doivent
changer pour s’adapter et aussi pour limiter leur impact sur le dérèglement
climatique et l’effondrement de la biodiversité. C’est pour cela que nous
proposons une politique agricole commune qui rémunère l’emploi (par unité de
main d'œuvre) plutôt que les hectares, ce qui sera de facto bénéfique aux
viticulteurs. Nous souhaitons aussi mettre en place un fonds de transition
agricole qui permette de donner de la visibilité des revenus sur 3 ans aux
producteurs qui engagent une transition de leur production vers des pratiques
agroécologiques et un soutien en investissement.”
Irène Tolleret, eurodéputée
sortante, Groupe Renew (Renaissance). “Je
voudrais souligner que la durabilité environnementale est étroitement liée à
la durabilité économique et sociale. Ces trois aspects doivent être placés sur
un pied d'égalité. Les viticulteurs ont besoin de la prospérité économique pour
entreprendre de nouvelles transformations environnementales et faire face au
changement climatique, et l’adaptation environnementale (utilisation de
moins d'intrants, plus grande résistance au stress hydrique, etc) est
fondamentale pour garder la compétitivité des producteurs. Il est
impossible de dissocier les trois piliers de la durabilité, et c'est ce qu'a
préconisé le Parlement européen lors de la dernière révision du règlement sur
les indications géographiques. En tant que responsable de la négociation de ce
texte pour mon groupe politique, Renew Europe, c'était l'une de mes priorités.
À la demande du Parlement, le règlement prévoit la possibilité pour les
indications géographiques de modifier leurs cahiers des charges pour introduire
de nouvelles règles de durabilité économique, sociale et environnementale.
L'approche initiale de la Commission européenne, limitée au seul aspect
environnemental, a donc été élargie, conformément aux demandes du secteur. Nous
devons reconnaître et soutenir la contribution des vins de qualité à la
prospérité économique et sociale de nos régions, tout en mettant en valeur leur
patrimoine culturel.”
Jordan Bardella, eurodéputé et
candidat tête de liste, Groupe Identité et Démocratie (Rassemblement
national). Le règlement SUR (utilisation
des produits phytopharmaceutiques) a été entériné en mars dernier. Par
conséquent, la Commission ne devrait pas remettre cette question sur la table
des négociations pour le moment. J’y suis, dans tous les cas, totalement opposé
: nous constatons encore une fois que le totalitarisme vert tente de faire
disparaître l’identité de nos terroirs et de nos productions viticoles. La
viticulture française est l’une des plus vertueuses au monde. Cessons de nous
flageller et défendons nos AOC et nos IGP qui font le succès international des
vins français”.
Christophe Clergeau, eurodéputé et
candidat, Groupe Socialistes et démocrates (Parti Socialiste). “Le modèle viticole européen fondé sur la
diversité, la qualité et l’ancrage territorial des produits doit être préservé
et je défends une durabilité réelle c’est-à-dire qui combine effectivement
économie, emploi, environnement et santé. Il faut rester vigilant quant aux
projets éventuels de la Commission mais on peut être raisonnablement
optimistes. Les négociations sur le règlement IG viennent de se conclure sans
bouleversement et en maintenant les acquis obtenus lors de la négociation de
l’OCM. Les Indications géographiques (AOC et IGP) sont dans le paysage
européen et y resteront tant que l’on se donnera les moyens de les défendre !
Les Etats membres historiques des IG comme la France et l’Italie doivent, main
dans la main avec leurs filières, conduire un effort de promotion de ce modèle
dans les autres Etats membres, notamment les pays de l’Est de l’Europe. Les
IG, ce n’est pas seulement la recherche de la qualité, c’est aussi et surtout
une démarche collective d’agriculteurs qui coopèrent pour peser ensemble et
obtenir un meilleur partage de la valeur ajoutée. Quant à la durabilité
environnementale, elle est déjà inhérente aux cahiers des charges de chaque IG,
if faut la renforcer, en aucun cas la remettre en cause.
UE et Santé : La
Commission Européenne, à l’instar de certains Etats-membres, tente de durcir la
législation qui encadre la consommation d’alcool en mettant en place des
avertissements sanitaires sur les bouteilles (parallélisme avec le tabac), en
insistant sur la dangerosité de l’alcool dès le premier verre (« no safe level
» de l’OMS), ou en instaurant des prix minimums à l’achat. Ne pensez-vous pas
qu’une promotion de la modération serait plus pertinente qu’une criminalisation
des producteurs et des consommateurs ? Seriez-vous prêts à mettre en place une
politique de responsabilisation des consommateurs basée sur la promotion de la
consommation modérée (qui est aujourd’hui une réalité dans l’UE) ?
Jordan Bardella, eurodéputé et
candidat tête de liste, Groupe Identité et Démocratie (Rassemblement
national). “La France impose déjà des
indications sur les bouteilles ainsi que sur les publicités sur les dangers de
la surconsommation d’alcool ou sur la consommation d’alcool pour les femmes
enceintes. Une politique d’affichage supplémentaire, suivant le modèle du
tabac, affecterait directement et trop fortement l’image de la filière
vitivinicole française et les 250 000 emplois directs qui en dépendent. Je
suis, par conséquent, opposé à toutes nouvelles mentions stigmatisantes sur
l’étiquette.”
Anne Sander, eurodéputée, et
candidate, Groupe du Parti populaire européen (Les Républicains). “La
santé et la modération font aussi partie de mes combats durant ces cinq
dernières années. Le secteur a déjà travaillé pour informer au mieux les
consommateurs. Malgré ces efforts, nous avons dû être vigilants pour le
distinguo soit bien fait entre consommation et consommation excessive. Il
faudra encore être attentif face aux tentatives de stigmatiser la production
viticole porté par une certaine idéologie hygiéniste excessive.
Christophe Clergeau, eurodéputé et candidat, Groupe Socialistes et
démocrates (Parti Socialiste). Les
approches prohibitionnistes et infantilisantes de l’alimentation sont
inefficaces. Les solutions passent par la pédagogie et les approches ciblées
sur les catégories à risques. En France comme dans plusieurs Etats membres, il
y a déjà le pictogramme avec une femme enceinte. C’est ce type d’approche qu’il
faut promouvoir au niveau européen. Le vin a toute sa place dans cette approche de
l’alimentation, ce n’est pas sa consommation qui pose un problème mais sa
consommation excessive. Il y a des dérives réelles qui doivent être dénoncées,
il ne faut pas les nier. Le parallèle avec le tabac n’a pas lieu d’être, le
tabac n’est pas un produit alimentaire. Quant aux expériences irlandaises ou
écossaises d’un prix minimum, je considère qu’elles sont complètement
inappropriées, c’est par l’information et l’éducation que l’on obtient les
meilleurs résultats en matière de comportement alimentaire.
Irène Tolleret, eurodéputée
sortante, Groupe Renew (Renaissance). “La
Commission européenne n’a pas (en tout cas pas encore) présenté des
propositions législatives pour durcir la législation afin de mettre en place
des avertissements sanitaires sur les bouteilles. L’Irlande est le seul
pays qui a adopté des avertissements sanitaires de manière unilatérale, ainsi
qu’un prix minimum à l’achat sans que la Commission européenne s’y oppose. Ce
pays s’est basé sur l’avis de l’OMS qui considère qu’il n’y a pas un niveau de
consommation sûr. Du côté de la Commission européenne, il n’y a rien sur
la table, mais j’en conviens qu’il vaut mieux se préparer à toute éventualité. Il
faut se rappeler que pendant la législature qui arrive à sa fin, le Parlement
européen s’est prononcé à deux reprises en faveur de l’information sur la
consommation modérée d’alcool, lors de son rapport sur le plan contre le
cancer élaboré par la Commission européenne et dans le rapport sur les maladies
non transmissibles.”
Marie Toussaint, eurodéputée et
candidate tête de liste, Groupe EELV (Les Écologistes). “La science nous montre que l’alcool n’est pas
bon pour la santé que ce soit dans les cas extrêmes de surconsommation ou dans
d’autres modes de consommation. Nous avons à faire à un enjeu de santé
publique, et nous connaissons tous des personnes en difficulté. Nous constatons
également une évolution de la consommation que ce soit sur les types de
produits ou sur les modes de consommation. Les consommateurs demandent moins
de vin mais de meilleure qualité, et c’est également ce qui est préconisé en
matière de santé et c’est justement sur la qualité que le vignoble français se
distingue. Le travail de qualité mené et notamment au travers des AOC est
une façon de répondre aux demandes des consommateurs.”
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